jeudi 30 janvier 2014

La minute Pivot #10 : Hannibal







J'ai accueilli avec circonspection l'annonce d'une série sur le fameux docteur Lecter, le psychiatre qu'il vaut mieux ne pas indisposer. Car le pauvre vieux avait déjà été bien maltraité par le cinéma ces dernières années : Anthony Hopkins en roue libre et une fin "politiquement correcte" totalement incongrue (Hannibal, le film), un remake parfaitement inutile (Dragon Rouge, le film)... Pourquoi vouloir saccager à tout prix cet extraordinaire personnage ? Pour une sinistre histoire de fric, j'en ai peur.


"Hannibal" (la série donc) reprend les personnages du "Dragon Rouge". Avant le grandiose "silence des agneaux", il y eu cet autre très bon livre de Thomas Harris adapté magistralement une première fois au cinéma ("Manhunter" de Michael Mann) puis complétement inutilement une seconde (avec Brett Ratner aux manettes, fallait pas s'attendre à un miracle). Lecter fait dans le bouquin sa première apparition, en personnage secondaire et emprisonné, l'intrigue étant centrée sur Will Graham, un enquêteur hors normes. La série, quant à elle, préfère situer son action avant la chute du bon docteur et imagine la relation que Graham et un Lecter libre pratiquant la psychiatrie et la haute cuisine (avec la bidoche qu'on sait) auraient pu avoir. 


Alors l'histoire : Will Graham, ancien flic devenu instructeur au FBI accepte à son corps défendant d'aider Jack Crawford (grand manitou du bureau fédéral d'investigation spécialisé dans les criminels barjo) à résoudre une série d'enlèvement de jeunes femmes au Minnesota et plus si affinités. Jack sachant l'homme fragile décide (et c'est un choix très malheureux) de confier la santé psychique de son poulain aux bons soins d'Hannibal. Un peu comme si on laissait au chat la garde d'un lapin nain.


Bon, bien, j'avais raison de me méfier. Allez, on commence par ce qui m'a fait grincer des dents.


Le beau Will est super doué (il est en plus incarné par Hugh Dancy, un choix dont j'adhère complétement). Il entre dans une pièce, il ferme ses jolis yeux bleus et revit la scène du crime dans la peau du tueur. Euh oui, un peu à la façon très artificielle du Dr Sam Waters de l'oubliable série Profiler.

Je vois... Le colonel Moutarde avec un chandelier !


 
Sinon, Claire Danes a un goût exquis.

 Ah, bon dieu de bon dieu, pourquoi avoir fait ça ? 


Là, je vais être un peu chiante, je vais ressortir mon exemplaire papier du Dragon Rouge. Dans le livre donc, Will a une mémoire photographique (ça aide vachement), une solide connaissance des criminels (comme mentionné auparavant, il a été flic) et une sensibilité qui lui permet de dénicher des éléments qui échappent aux autres enquêteurs. A côté de ça, c'est un bosseur : il lit les rapports, il use ses chaussures à faire du porte à porte, il examine, il inspecte, il se donne du mal, bref le processus est laborieux. Il ne ferme pas les yeux et, BAM, affaire réglée, sait le comment du pourquoi.


Cet artifice donne des scènes franchement cocasses (ridicules ?), on s'attend presque à ce que Graham nous donne la couleur des chaussettes du criminel qu'il pourchasse. J'avais lu quelque part (un blog ? une critique télé ? me souviens plus) quelqu'un comparer les fulgurances de Will à celle de Sherlock mais sans les déductions qui nous les font comprendre. C'est tout à fait ça.

Oui, moi-aussi, Sherlock, ça me choque.



Passons à l'imposant Jack Crawford (Lawrence Fishburne) qui manque curieusement et sérieusement d'épaisseur. Dans le livre, c'est un meneur d'homme né, il est retors, il possède un savoir encyclopédique et une intelligence aigüe. Dans la série, son job, c'est essentiellement de se tourner vers Will après sa petite séance chamanique pour pouvoir enfin orienter l'enquête. Il aime aussi montrer son autorité en gueulant un coup et armer son fusil à pompe quand il y a de l'action. Broutilles que tout cela, ce que je lui reproche essentiellement c'est son énorme cécité quant aux manigances du Dr Lecter. Pour un gars dont le métier de traquer les barges, il manque prodigieusement de flair. 

Si, si, je bosse là, j'attends que Will fasse son truc.

 Même son de cloche pour la ravissante idiote qu'est le Dr Bloom, psychiatre émérite spécialisée dans euh quoi au fait ? La pauvre fille se fait continuellement rouler dans la farine par Lecter (et les patients qu'elle examine aussi, c’est dire si elle est compétente) et rabrouer par Crawford qui sape son autorité. Elle porte certes de très jolies tenues (avec un net penchant pour les robes portefeuille à l’imprimé audacieux) mais quelle cruche ! A quoi bon créer des personnages féminins si c'est pour l'exploiter aussi pauvrement ? 

Moi, une ravissante idiote ?

 A contrario, Freddy Lounds (une pourriture de journaliste de presse trash dans le livre devenue femme et blogueuse pour l’occasion) toute en boucles rousses et filouterie de renarde est mieux servie.


Nous arrivons au plat principal, Hannibal.






J'étais hyper impatiente de voir comment Mads Mikkelsen (pour lequel j'ai un gros faible) allait jouer le célèbre psychiatre.


Le premier mot qui me vient à l'esprit est figé.
Le deuxième, engoncé.
Le troisième, inexpressif.


Alors, on comprend bien la volonté affichée de se démarquer des précédents Lecter (Brian Cox et Anthony Hopkins, je laisse Gaspar Ulliel en dehors de ça, j’ai pas vu le film) mais pourquoi le faire au détriment du personnage créé par Thomas Harris ? Hannibal est charmeur, jouisseur presque, il aime s'amuser au détriment des autres qu'il perce si facilement à jour, il est gracieux, agile (c'est un petit homme svelte) doté de petites dents très blanches (on imagine qu'il n'est pas avare en sourire). C'est un esthète, un érudit, un hôte délicieux avec d'excellentes manières et fort distrayant.


Bien, que reste-t-il de tout ça ? On repassera sur le côté charmeur. L'Hannibal de Mads est monolithique, lisse et impénétrable. Aucune émotion visible, aucune faille non plus. Ses motivations sont opaques. Il se tient quasiment en retrait de l'action (tiens, comme un psychiatre pourrait le faire, puisqu’il écoute sans juger, ni prendre parti).


J'avais toujours imaginé Lecter avant son internement comme profitant avec légèreté et gourmandise de la vie (grand vin, grand train, tralala). Ce que fait cette série -et c’est intéressant- c'est de murer le personnage dans ses troubles obsessionnels.

Regardons-le, cet Hannibal, rigide dans ses costumes aux tissus épais et aux couleurs sourdes (affreusement laids, d’ailleurs) avec pochette et plis impeccables.

Parce que je ne veux pas finir en ris de veau,
je garderai mon opinion sur ce costume pour moi

Observons son intérieur, chargé, sombre, étouffant, terriblement net.

Notons ses raidissements imperceptibles face à un comportement grossier (et on peut dire qu’il a un seuil de tolérance bien bas).

Examinons-le remettre à sa place son cahier de rendez-vous au millimètre. Ecoutons-le parler de sa voix douce, jamais un mot plus haut que l’autre.

On retrouve ce même comportement obsessionnel dans sa cuisine. Et sa folie se dévoile ici. Le personnage dit à Graham qu’il fait très attention à ce qu’il mange et qu’il préfère « faire » sa nourriture plutôt que l’acheter.

Très bien.

Petite question : si on vous donne à choisir entre manger une saucisse bio (vraiment bio, avec un animal sain et amoureusement élevé) et zigouiller un démarcheur qui est venu vous déranger chez vous pour en faire des chipolatas, vous optez pour quoi ? 

Franchement, vous auriez confiance en la viande du démarcheur ? Qui sait quelles maladies il traîne, vous voyez ? Hannibal, lui qui fait très attention à ce qu’il met dans sa bouche, n’hésite pas une seconde. Ça ne sera pas bio, ni élevé en plein air. Et, comble de perversion, s’il vous invite chez lui, vous allez bouffer pareil. J’ai frissonné littéralement en voyant ses convives se régaler sous l’œil enfin égayé d’Hannibal.


Au final, je ne peux toujours pas dire si j’ai aimé. Même si la fin de la première saison est stupéfiante : on la quitte sur le visage d’Hannibal qui semble enfin prendre vie. Bien sûr, on peut louer la volonté des créateurs de la série de ne pas vouloir donner une lecture trop facile du récit et de s’éloigner de l’histoire de Thomas Harris. On peut aussi regretter qu’ils nous fassent somnoler, bercés par des dialogues légèrement abscons délivrés toute en retenue (Hannibal et sa psy) ou qu’ils veuillent nous faire tressaillir avec des scènes inutilement sanglantes.




Cette image me rappelle une blague de très mauvais goût au sujet de Jeffrey Dahmer (tueur et cannibale américain).

Jeffrey invite un ami à déjeuner.

L'ami : J'aime pas tes amis, Jeff.
Dahmer : Mange que les légumes, alors.